Noah Fischer & Evanna Summers

« C'est fini ! » lança la voix enjouée du docteur Summers.
« Merci Eva, t'es super. »

La jeune femme esquissa un sourire à l'attention de son ami avant de se retourner pour jeter les anciens bandages à la poubelle. Sentant qu'il s'approchait de la porte pour quitter l'infirmerie, elle fit à nouveau volte-face et l'interpella. Une dernière recommandation était nécessaire avant qu'elle ne consente à laisser partir son patient.

« Tyler ? Tu ménages ce bras, d'accord ? Hors de question de jouer les durs, pas encore. Tu risques de réouvrir la plaie sinon. »
« Oui, maman ! »

Mais le Tyler en question ne s'était pas arrêté pour autant et lorsque sa phrase non dénuée d'humour arriva aux oreilles d'Evanna, il se trouvait déjà hors de vue. Certainement en direction de la salle d'entraînement, étant donné qu'il était extrêmement doué pour ne pas écouter les conseils que l'on pouvait lui offrir. Même ceux provenant d'un médecin. Tyler avait ça dans le sang. Le combat contre les machines était toute sa vie. Ancien détenu libéré du camp de Detroit, il avait vu périr de nombreux proches à cause de ces robots. Il voulait en détruire le plus possible avant de mourir et n'accepterait pas de rester sans rien faire, même blessé. La blondinette leva les yeux au ciel, amusée par sa réponse mais toutefois inquiète pour sa santé. Elle se demandait souvent comment il avait pu vivre aussi longtemps avec une telle impulsivité.

Eva retira ses gants et s'en débarrassa, puis se rendit dans son bureau. Un tout petit espace personnel comme chaque médecin en possédait afin d'avoir un minimum d'intimité. Certaines personnes qu'ils soignaient avaient parfois envie de se confier à eux, et ce n'était pas parce que le monde ne se résumait plus qu'à un véritable chaos que la confidentialité qui liait un médecin à son patient avait disparu. C'était dans cet endroit que la jeune femme gardait les dossiers de ceux dont elle s'occupait généralement. Et depuis quelques jours, elle en avait un nouveau, encore presque vierge. Evanna se saisit du papier et parcourut ses derniers mots sur le dénommé John Doe. Ses constantes étaient bonnes. Cela faisait maintenant cinq jours qu'il se trouvait dans le coma, sans blessure importante apparente. L'épuisement et le manque de nourriture et d'eau avaient eu raison de lui.

John avait été retrouvé par l'équipe des Green Bear. Surveillant les alentours de la base, l'un d'eux avait repéré un homme dans l'eau qui semblait avoir beaucoup de mal à nager. Appelant le reste de son équipe, ils l'avaient sauvé in extremis d'une noyade certaine. Apparemment, il n'aurait pas été conscient plus de quelques secondes. Même pas assez pour connaître son nom, et rien sur lui n'avait permis de lui attribuer une quelconque identité. Directement amené à l'infirmerie et pris en charge par Evanna, ce jeune qui devait tourner autour des vingt années s'était vite retrouvé dans l'un des lits de la grande pièce qui en contenait beaucoup d'autres - seuls des rideaux trouvés ça et là, parfois coupés dans de vieux tissus récupérés, offraient un minimum d'intimité à chaque patient. Le Docteur Summers l'avait ausculté avant de lui donner les soins nécessaires : une perfusion qui lui fournirait tout ce dont il aurait besoin jusqu'à ce qu'il puisse se nourrir lui-même, entre autres.

Cinq jours étaient donc passés depuis que John avait été amené ici. Son coma n'était pas profond, mais Evanna ne pouvait pas dire quand il se réveillerait, bien qu'elle soit certaine que ce serait le cas. Ils n'avaient pas assez de matériel pour tout étudier dans les moindres détails, d'où l'absence de cette information. De fait, elle passait régulièrement près de lui pour vérifier ses constantes et changer sa perfusion. Se dirigeant d'abord vers la petite réserve, elle attrapa une poche puis se lança en direction des lits. Passant devant d'autres blessés qu'elle connaissait - évidemment - elle les salua d'un signe de tête et arriva vers le patient qu'elle était venu voir.

« Bon, à nous deux maintenant. »

Elle commença par enlever l'ancienne perfusion et suspendre la nouvelle, le regard concentré, lorsqu'elle entendit un léger bruissement. Se retournant vivement, elle constata que la main de son John Doe avait bougé. Une fraction de seconde plus tard, il fit un second mouvement. Il était en train de sortir de son coma. Afin de le rassurer parce qu'il se demanderait certainement où il serait lorsque ses esprits se seraient rassemblé, Evanna se pencha près de lui et lui parla de sa voix naturellement douce et chaleureuse. Bientôt, ses yeux s'ouvriraient.

« Ne vous inquiétez pas, vous êtes en sécurité. Tout va bien, vous vous trouvez dans notre infirmerie et on prend soin de vous. Vous êtes en sécurité. » répéta-t-elle avec plus d'insistance.

Le silence. Cette chose qui avait cessé d'exister depuis tant d'année. Pas un bruit pour accompagner les images de ce lac magnifique. Ce paysage, Noah le connaissait, mais il ne pouvait affirmer avec certitude qu'il s'agissait bien de celui-ci. Après tout, cela ressemblait plus à un tableau ressemblant au paradis. Un ciel bleu se noyait dans la vaste étendue d'eau. Les arbres étaient d'un vert vivant, printanier, que personne ne connaissait plus lorsqu'il était prisonnier des camps. Tout semblait figé et mystérieusement irréel. Jusqu'à ce qu'une goutte, couleur vermillon, viennent s'écraser sur la surface du lac. L'angle de vision se déplaça alors, pour plonger à son tour dans l'eau. S'inclinant pour apercevoir le bleu du ciel, la clarté de l'eau permettait d'apercevoir une forme noire se rapprocher dangereusement, sous des ondulations. Le calme qui régnait encore fut alors chassé par un bruit sourd de plongeon et la vision s'affola pour se fixer sur les deux êtres venus d'en hauts. L'un d'entre eux dégageait une substance rouge se mélangeant à la clarté de l'eau. En quelques secondes, la couleur de ce liquide avait pris l'avantage sur le bleu du lac. Lorsque Noah remonta à la surface, il était seul et le paysage avait été défiguré par les flammes. Les robots étaient tous autour de lui. Le jeune homme semblait être sorti d'une flaque de sang. Il se laissa couler et l'obscurité reprit sa place.

Plus d'images. Un noir total. Noah n'avait pas vraiment la sensation de ce vide, mais il était bel et bien dans le coma. Une promesse avait été faite et il comptait la tenir. Il fallait juste qu'il trouve la porte à cette nouvelle prison. La chose n'était pas aisée. Car à côté de la souffrance qu'il avait enduré dans les camps, il était enfermé dans un endroit bien plus agréable. Cela semblait même plus plaisant que sa vie avant toutes ces machines. Du moins, d'après ses souvenirs. Le sentiment de vide était intense et en avait rêvé pendant des années. La torture avait été constante, rien que par le bruit qui rodait dans les prisons. Pourquoi vouloir se réveiller lorsqu'on réside dans un état où nos problèmes n'existent plus ?

La mort ne semblait pas douloureuse, elle ressemblait à un soulagement. Elle l'observait et tendait ses bras. Noah avait pourtant promis, mais c'était si tentant. Pourquoi vouloir retourner là d'où il venait ? Rien de bon s'y profilait. Il ne savait même pas ce qui l'attendait en se réveillant. Serait-il confronté une nouvelle fois aux enfers ? Dans ce cas, plutôt mourir. Et si c'était l'inverse ? Et s'il avait trouvé cette base ? Les souvenirs ne bousculaient pas son esprit. Son dernier était le sujet de ce rêve qu'il avait fait. Hilarie était morte. Une nouvelle souffrance qui lui fit faire un pas vers la mort. Mais une voix se souleva de son silence. La promesse hurla dans un écho surnaturel. C'est alors que la main qui se tendait à lui pour l'emmener vers la mort se dégrada. Des particules de peau s'envolèrent formant un nuage rosé. De fins doigts de métal menaçant se crispèrent alors. Il était temps pour Noah de reculer et de retourner vers la vie. Un pas en arrière, ses yeux scintillèrent sous les échos, d'Hilarie, interminables. Et autre chose, une autre voix se distingua de se brouhaha irréel. On lui chanta :

« Ne vous inquiétez pas, vous êtes en sécurité. Tout va bien, vous vous trouvez dans notre infirmerie et on prend soin de vous. Vous êtes en sécurité »

La voix était à la fois lointaine et proche. Sans s'en rendre compte, Noah avait bougé. Il n'avait pourtant pas senti ses membres remuer. Il ne leur avait d'ailleurs rien demandé. La voix, humaine, le rassura quelque peu. Lorsqu'il ouvrit lentement les paupières, des larmes coulèrent le long de ses tempes. Sa vision, trouble, s'éclaircit peu à peu. La force ne lui était pas revenue et il se sentait engourdi comme lors d'un réveil après des jours de sommeil. Lorsqu'il tourna légèrement, et très lentement, la tête pour apercevoir une jeune femme, sa première pensée tenta, avec beaucoup de mal, de lui échapper. Sa gorge était comme gonflée. Les premières tentatives laissèrent place à des hoquets discrets, puis vint le murmure des premières syllabes :

« Hi...hh...Hi... » Après une petite pause et avoir ravalé sa salive qu'il semblait absente, il retenta toujours comme un simple soupir : « Hi...Hilarie ! »

La jeune femme avait la même chevelure blonde, mais il ne distinguait pas le reste de son visage, sa perception des choses était très faible pour le moment. Reprenant l'emprise sur la réalité, il tourna son regard vers le plafond et l'observa comme sans vie. Rien n'avait d'importance, l'endroit où il se trouvait non plus, la personne situé à ses côtés également. Ce qu'il avait vécu récemment envahi alors son esprit et la fin lui taillada le coeur. La souffrance était bien plus importante que lorsqu'il avait été battu par les robots. C'est alors qu'il laissa échapper des sanglots dans un triste silence. Il aurait voulu entendre sa peine de ses propres oreilles, mais sa gorge était bien trop sèche. Il prit alors une inspiration après quelques pleurs inaudibles et laissa ses yeux scruter le plafond d'un air absent. Ses poings se serrèrent méchamment et il sentit ses ongles torturer sa peau. Pourquoi était-il revenu ?

Le froissement de draps ne laissait place à aucune hésitation : le patient venait de bouger sa main. Aussitôt, Evanna se pencha au-dessus de lui et tenta de le rassurer de sa voix douce. Le plus important pour le moment était qu'il se sente tout de suite en sécurité. Avant de se retrouver à la base de Niagara Falls, avant même que le monde ne sombre dans un chaos total, elle avait été médecin pour la US Army. Envoyée dans des pays hostiles où les soldats passaient leur temps à se battre, de nombreuses personnes lui avaient été ramenées en piteux état. Blessures par balles, un membre arraché suite à l'explosion d'une bombe... Ceux qui se réveillaient à l'infirmerie du camp sans savoir où ils se trouvaient étaient immédiatement paniqués. Ils avaient peur d'être encore sur le terrain, seuls, ou bien carrément faits prisonniers par leurs ennemis. Plusieurs - longues - secondes leur étaient nécessaires avant de réaliser qu'ils se reposaient sur un lit relativement confortable et que leurs blessures avaient été soignées. Evanna avait tiré une leçon de ces expériences : quand un patient se réveille, la première chose à faire est de lui assurer sa sécurité. Ce fait ne pouvait être plus vrai maintenant que le monde entier était devenu un champ de bataille.

Après tout, personne ne savait ce qu'avait vécu cet homme. Il avait été sauvé de la noyade par plusieurs membres des Green Bears alors qu'ils surveillaient les alentours de la base. Il ne possédait aucun papier d'identité et avait sombré dans l'inconscience avant qu'on ne puisse lui demander son nom ou son histoire. Que s'était-il passé pour qu'il se retrouve à nager malgré la fatigue ? Depuis combien de temps errait-il seul ? Et surtout, d'où venait-il ? A son arrivée, Evanna l'avait ausculté mais aucune blessure grave n'avait été trouvée. Il n'avait que quelques coupures, dont une assez profonde mais parfaitement soignable. Malgré tout, cela ne voulait pas dire qu'il n'en avait pas bavé, voire qu'il n'était pas traumatisé. Ce n'était qu'un jeune adulte. Maintenant qu'il sortait de son coma, Eva allait devoir se montrer deux fois plus attentive à ses besoins.

Le Dr. Summers attendit patiemment que les yeux de son patient s'ouvrent complètement et lui sourit alors qu'il posait son regard sur elle. Une expression chaleureuse sur le visage, elle restait néanmoins concentrée sur chacun de ses gestes. Elle était tout d'abord un médecin et ne devait rien laisser passer. Bientôt, John tenta de parler. Il eut beaucoup de difficulté, normal quand votre voix ne sert plus depuis un bon nombre de jours et que vous venez de quitter un tel état physique. Les premières syllabes furent incompréhensibles hors de leur contexte, néanmoins Evanna finit par saisir lorsque le prénom entier franchit ses lèvres. Hilarie. Qui était-elle ? Sa petite-amie ? Sa soeur ? Quelle que soit cette personne, elle était certainement morte, du moins les Green Bears n'avaient vu aucune femme en compagnie de celui qu'ils avaient ramené à la base. Décidant qu'ils était bien trop tôt pour lui parler du sort de cette Hilarie, la jeune blonde décida de passer à autre chose. S'asseyant sur le bord du lit, elle prit la main de John.

« Bonjour. Je suis le Docteur Evanna Summers. Je travaille à la base de la Résistance de Niagara Falls, vous êtes dans son infirmerie en ce moment-même. Tout va bien, vous ne risquez plus rien. »

Mieux valait se répéter sur cette histoire de lieu et de sécurité. Au moins, il semblait avoir recouvré ses esprits, ainsi Eva était certaine qu'il avait saisi le message. Inutile qu'il se sente menacé par quoi que ce soit. Maintenant, il devait lui donner son identité, pour qu'elle soit enfin capable de mettre un nom sur son dossier. John Doe n'était pas le sien, et à vrai dire elle détestait cette appellation. Cela lui faisait penser aux cadavres trop amochés pour être reconnus que l'on ramenait au camp de la US Army. Avant que le test ADN ne puisse dire de qui il s'agissait, on référait à eux par « John Doe 1 », « John Doe 2 » et ainsi de suite. Cela n'arrivait pas tous les jours évidemment, mais ça ne changeait rien à l'affaire. Elle n'aimait pas ça, tout simplement.

« Quel est votre nom ? Comment vous sentez-vous ? Avez-vous mal quelque part ? »

Oui, ça faisait beaucoup de questions à la fois... Il arriverait à tout assimiler. Demander s'il ressentait des douleurs était tout à fait normal dans ce genre de situation, surtout qu'ils n'avaient pas tout le nécessaire pour les radios. De fait, il se pouvait qu'une nouvelle blessure fasse son apparition, une qu'elle n'avait pas vu du premier coup. C'était hautement improbable puisqu'elle l'avait regardé et palpé pendant un nombre interminable de minutes histoire de s'en assurer elle-même. Toutefois, on ne savait jamais ce qui pouvait arriver. Evanna préférait s'en assurer au lieu de prendre cela pour acquis et le regretter plus tard. Les médecins n'étaient pas infaillibles, ils restaient humains et pouvaient commettre des erreurs.